Vaudran...
Requiem pour un château

Ce site s'adresse
à tous ceux
qui ont connu le
château Vaudran
situé aux confins
de Marseille,
dans le riant quartier
de La Valentine.


Le Château Vaudran, victime de l'indifférence des hommes, fut brutalement démoli en 1976, quatre ans avant sa centième année, après avoir été occupé par une vingtaine de familles de 1948 à 1962.
Elles tentèrent tant bien que mal de s'y maintenir dans des conditions  difficiles, sans  eau  courante  ni  électricité,  éloignées  de tous commerces.
Relogées en urgence par les services sociaux de Marseille, elles furent pour la plupart  disséminées   dans   les  vastes   cités  des  quartiers Nord  de  Marseille.
Le château a été remplacé par une immense nécropole, un complexe hôtelier et un golf.
Voici raconté un pan de son histoire. Elle est évolutive et je compte sur vous pour la compléter.

Vue de l'aile Sud du château Vaudran à La Valentine telle qu'elle apparaissait aux visiteurs......  
Les photos du château Vaudran restent rares. Celle-ci date des années 50.
Selon des informations dignes de foi, il fut construit en 1880 par un certain Victor Jouvin, richissime armateur.
Une partie du domaine de VAUDRAN courrait sur plus de 14 hectares de cèdres du Liban et d'espèces d'arbres divers dont de nombreux arbousiers.
M. Jouvin y planta aussi des essences rapportées d'Afrique. C'est ainsi que l'on trouvait dans le domaine, des arbres à écorces rouges introuvables ailleurs. Il fit creuser de nombreux puits et aménager bordures fleuries et  bancs en pierre ou en béton.
Mais Vaudran ne se limitait pas à une poignée d'hectares. Jouvin avait acquis des kilomètres de terres en arrière du château. Protégées par une immense muraille en pierre haute de plusieurs mètres, avec un sommet taillé en pointe hérissé de débris de verre. Elle était destinée à décourager d'éventuels visiteurs indésirables.
Vaudran avoisinait un autre domaine encore plus impressionnant : celui de la Salette. Les marseillais le connaissent bien avec sa chapelle Notre-Dame-de-la-Salette, presque aussi célèbre que Notre-Dame-de-la-Garde.
Au 18eme siècle, le domaine de Vaudran s'appellait encore Vau-Vaudran. Le 11 octobre 1779, Maître Estubi, notaire, enregistrait sa cession. Un certain Pascalis de la Systrière le vendait 14.800 livres au Sieur François Gabriel. Jouvin céda plus tard le château à la ville. L'occupant allemand l'électrifia (en utilisant les cèdres comme poteaux)et goudronna ses chemins principaux pour en faire un Etat-Major. La meilleure façon de vous rappeler ou se trouvait le château Vaudran consiste encore à aller examiner une carte pour se laisser guider.

Préliminaires :

          De 1943 à la Libération, l'occupant allemand enferma des prisonniers dans les caves du château, transformées pour l’occasion en cellules. Cette prison souterraine servit par la suite d’aire de jeux (interdits) aux enfants. Les murs étaient couverts d’admirables tableaux tracés à la craie de couleur.  L’entrée principale du château était fermée par une énorme porte de bois à double battant, épaisse de dix centimètres et haute de trois mètres. Malgré son énorme masse, elle s’ouvrait facilement sur un hall d’entrée qui aurait pu loger un appartement entier.  Après la débâcle allemande, les habitants du quartier de La Valentine, firent des raids sur le château et détruisirent les relais électriques et la plupart des sanitaires. Aucune robinetterie présente dès l'origine ne fonctionna jamais.  pourtant ces anciennes demeures étaient toutes équipées d'un système encestral appelé "bélier hydrolique" qui permettait de faire circuler l'eau parfois sur des hauteurs importantes sans mécaniques compliquées, faciles à entretenir.
         Au lendemain de la dernière guerre mondiale, Marseille affrontait une grave crise du logement. Des quartiers entiers étaient à reconstruire. Pour y faire face, la municipalité n’hésitait pas à suggérer ces vieilles demeures totalement dépourvues du plus élémentaire confort. 

L'installation des premiers squatters :

                Ma famille s'installa en 1949 dans le château dont une aile était déjà occupée par plusieurs familles maghrébines.  Pour y accéder à partir du village de La Valentine (11ème arrondissement de Marseille) il fallait suivre le canal en direction du quartier de "La Bouquière" par la "route des trois Lucs à La Valentine" . A droite on prenait l'impasse des Vaudrans (abusivement baptisée au pluriel - le domaine de Vaudran s'édicte au singulier), on longeait le vieux cimetière, traversait des champs puis le bois du domaine de Vaudran. L'entrée, désormais soixante-huit impasse des vaudrans, était matérialisée par deux énormes piliers soutenant une épaisse grille en fer forgé, constamment ouverte.  Sur plusieurs centaines de mètres, les arbres, de très vieux cèdres, ne laissaient jamais filtrer le soleil tant ils étaient denses. La route, goudronnée par les allemands, s'était détériorée en larges plaques sous l'effet des eaux de ruissellement.  Les ramures des conifères s'arrondissaient en tunnel au dessus de nos têtes. La traversée de la forêt devenait une véritable épreuve dans l’obscurité.  Je n'avais que onze ans en CM² et il m'arrivait parfois de manquer de soins dans mon travail scolaire. Il y a 50 ans, l'école de la République était impitoyable. La punition favorite des enseignants était la retenue. Il s'agissait de refaire le travail baclé le soir après 17 heures sous la surveillance du maitre. Il occupait un appartement de fonction à l'école. Il n'était pas rare d'être libéré deux heures après la fin de l'école. En marchant d'un bon pas, il fallait bien 1/2 heure pour parcourir les trois km qui me séparaient du château. J'arrivais donc sous ces terribles cèdres vers dix-huit heures. En hiver il fait déjà nuit. Je devais obligatoirement passer devant les ruines d'une énorme batisse qui m'effrayait beaucoup. Les squatters du château l'avaient baptisée "la maison cassée". Et un soir, fatigué de devoir encore franchir ces obstacles, je décidais de choisir un autre chemin : une voie privée bien dégagée mais qui avait l'inconvénient de passer devant la propriété du riche paysan local un certain André (nom de famille). Madame André m'attendit au bout du chemin pour m'interdire le passage. Elle resta sourde à mes protestations. Dans la photo (figure 4) du présent, se trouvait un escalier conduisant directement à la ferme des André, sous le château. Il n'était point question d'impertinence à l'égard de cette famille, la seule de la région à disposer d'un téléphone. Notre fratrie, de santé fragile, avait souvent recours au service de ces gens pour appeler un médecin.
          L'histoire des André est assez insolite : Elle possédait des terres agricoles qui furent submergées après la mise en service du barrage de Serre-Ponçon en 1959. En échange elle obtint une large propriété issue de l'ancien domaine de Vaudran, désormais propriété de la ville de Marseille. Les familles squattant le château observaient une évidente neutralité envers les André dont la réputation de dureté et d'intransigeance n'était pas à démontrer. Pour le dire simplement, les André nous méprisaient profondément et le montraient bien. La famille se composait de 3 garçons de 8, 11 et 12 ans. Même si les parents étaient agriculteurs, il n'y avait pas mystère : ils appartenaient à la bourgeoisie locale, sure d'elle, de son droit et de ses moyens. Cette neutralité se poursuivait jusqu'à l'école primaire ou nos rares contacts verbaux avec les frères André étaient limités par leur arrogance naturelle. Les André étaient une famille de riches.


             
Mais revenons au château ! Passée la lourde porte d’entrée, on pénétrait dans le grand hall (que nous appelions entre nous "le couloir") avec son carrelage à damier. Sur le mur du fond, les allemands avaient peint une carte de l’Europe. Je me souviens encore d’elle malgré sa disparition depuis 42ans. Elle était très bien exécutée. Je fus longtemps étonné des drôles de noms donnés à nos villes - et pour cause - elles étaient écrites en Allemand. Le mur de gauche affichait une phrase peinte en lettres gothiques. Je me souviens encore des premiers mots : « Inder Ingabe…...Lieben……Je l'avais relevée quelque part avec l’intention affirmée de la faire traduire un jour…...je l'ai perdue. Peut-être qu’un jour je découvrirai une photo……vous qui lisez ces lignes, si vous possédez cette photo, n'hésitez pas à m'envoyer une copie.. Au rez de chaussée, le couloir desservait à gauche une famille composée des parents et de 3 enfants déjà adolescents. A droite vivait un vieux couple sans enfant. Je me souviens encore du nom de l'homme : Barthélémy FERER. D'origine espagnole, tous deux avaient conservé un accent "à couper au couteau". Notre logement était situé au premier étage. Comme toutes ces vastes demeures du siècle passé, beaucoup de place disponible était perdue par d'immenses escaliers desservant de non moins immenses couloirs intermédiaires sur lesquels se cotoyaient plusieurs portes d'entrée ; toutes à double battants et hautes de 3 mètres. Les plafonds culminaient à 3 mètres 50 ou 4 mètres. Ces grands volumes amplifiaient les sons, encore aggravés par la sale habitudes de certains résidents : en guise de fermeture automatique des portes, ils avaient installé....des tendeurs. Chaque entrée s'achevait toujours par un violent claquement de porte qui raisonnait à l'infini dans les couloirs.


Des conditions de logement d'un autre âge :

            Notre appartement se composait de deux uniques pièces mesurant au moins vingt-cinq m² chacune. Mes parents avaient pu se procurer un emplacement en façade avec un grand balcon situé juste au dessus du perron de l'entrée principale. Entre 1954 et 1955, les squatters musulmans quittèrent les lieux, libérant toute l’aile droite du château. J’ignore ou ils étaient partis mais une chose est certaine : ils furent bien plus avisés que les autres dont les conditions en ces lieux étaient spartiates, même pour les années cinquante, jugez plutôt : une absence totale d'électricité. L’éclairage était assuré par des lampes à pétrole. Le chauffage utilisait le charbon, héroïquement livré(en raison de l’état de la route) par un commerçant du quartier de La Valentine appelé ROSSO. Le bois mort récolté dans la forêt environnante assurait le complément. Mais la pire des corvée restait l’eau. A un kilomètre de là, un bassin avait été probablement créé pour les besoins des plantations. Alimenté par une citerne dont on ignorait la provenance du circuit la maintenant toujours pleine, il offrait un bout de tuyau par lequel filtrait un filet sans pression. Remplir un modeste seau de dix litres demandait au moins cinq minutes et le reste à l’avenant. Il fallait ensuite trainer ces seaux jusqu’au château. Bien trop jeunes pour assurer ce travail, nous ne pouvions qu‘accompagner nos parents ou rouler une grosse lessiveuse pleine d’eau montée sur une méchante carriole bricolée par notre père. Cette démarche devait se reproduire au rythme de l’usage que nous faisions de l’eau. L’été, elle devenait presque quotidienne. L'essentiel du marché en produits frais se faisait auprès des maraîchers environnants, encore nombreux.

               Le petit village de La Valentine contenait à peu près l'essentiel des commerces susceptibles de satisfaire les besoins les plus immédiats. Les grands magasins, ou les établissements très spécialisés étaient implantés au voisinage de la Canebière. S'y rendre était une expédition. D'abord franchir à pieds les trois kilomètres séparant le château du village de La Valentine ; prendre un bus de la Régis des transports locale jusqu'à la petite gare de La Blancarde (plus de dix km d'une circulation de centre-ville très dense) ou, du boulevard Chave, on prenait le célèbre (à l'époque) tramway "68" un réseau terriblement utile car il conduisait gràce à un tunnel ferrovière long de huit cents mètres, à la gare de Noailles, appelé également gare de l'Est. Elle aboutissait au centre de Marseille, à quelques encablures de la Canebière et du marché de "la rue longue" ou on pouvait se procurer à peu près n'importe quoi.

                   Je n'ai jamais vraiment intégré la culture "marseillaise" : Mon père niçois et ma mère charentaise, ne souhaitaient pas m'entendre adopter le "phrasé" marseillais. Chez nous point de "té vé" (tiens regarde) de "cacarinette" (coccinelle) de "chevingum" (chewing gum) de "dégun" (personne) ou de l'horrible "mon vier" (grossièreté très marseillaise prononcée à tout bout de champ exprimant le "membre viril") etc...etc...

                     Tous les  cinq ou six  ans  ma mère nous entrainait
rejoindre sa famille d'origine dans la banlieue de Cognac en Charente à quelques huit cents kilomètres de Marseille. Je n'ai jamais connu pire expédition à partir du château Vaudran. Chargés de valises et de paquets divers (parfois avec le chien) il fallait rejoindre le bus de La Valentine à pied et descendre au terminus  gare routière du Cours Joseph-Thierry. De là on rejoignait, toujours pédibus et chargés comme des mûles, la grande gare Saint-Charles distante d'au moins trois km. Il fallait prendre le "rapide" Vintimille-Quimper qui roulait toute la nuit pour arriver à Bordeaux au petit matin vers sept heures. Mes parents préféraient rouler la nuit. Les enfants pouvaient dormir, allongés sur les banquettes des compartiments à l'ancienne. Je revois encore la longue file des voyageurs entre chaque arrêt ; se postant devant l'entrée de notre compartiment et lançant à mes parents "c'est pas normal ça" tout en montrant ma soeur et mes frères plongés dans un profont sommeil. C'était leur manière de protester contre les dormeurs qui monopolisaient plusieurs places assises. Dans l'immense gare de Bordeaux c'était la course pour attraper la correspondance tantôt vers Saintes, vers Angoulême ou la petite gare (disparue depuis bien longtemps) de Beillant ou nous arrivions après dix-huit heures de voyage. Notre périple s'achevait en taxi jusqu'à la ferme de mes grand-parents maternels. C'était parti pour trente à quarante-cinq jours de ballades dans les champs, de baignades ou de pêches dans les superbes affluents du fleuve Charente. De retour à Marseille, nous avions pris l'accent pointu des charentais.
                

L'effrayante école primaire de La Valentine
  
                 Peu d’enfants ont dû parcourir autant de chemin que nous pour rallier l’école primaire de La Valentine. (plan d'accès de l'école) Située aux confins des entrepôts de l’usine de soda « Phénix », elle était à trois kilomètres de notre logement. Le repas de midi était pris en commun à la cantine de l’école. L’école primaire de La Valentine, comme pour beaucoup d’enfants du quartier, a laissé un très mauvais souvenir. Dans les années 1958/1962, les enseignants de l'école primaire de La Valentine laissaient les enfants se faire piétiner par une horde violente plus ou moins téléguidée par trois frères. Mal surveillée, elle livrait littéralement ses élèves les plus jeunes à la brutalité de cette bande issue de certains quartiers de La Valentine. Composée d’une vingtaine de préadolescents, elle était entraînée par trois voyous qui se reconnaîtront facilement : « Calou », le plus jeune et le plus vicieux ; « riri » l’aînés, presque adolescent il était le plus calme. Mais très solidaire de ses deux frères il n'hésitait jamais à cogner les plus faibles.

                Mais Robert, surnommé « gros » par ses camarades était de très loin le plus violent. Personne ne peut imaginer le nombre d’enfants que cette brute âgée de 13 ou 14 ans, a pu massacrer. Je me souviens d’un certain GALLICCHIO, âgé de 8 ou 9 ans, qu’il a presque étouffé en le serrant de toutes ses forces. Il a fallu transporter le garçon auprès du médecin local. Entre 1958 et 1962, cette bande a fait subir un véritable calvaire à ceux qui avaient le malheur de se trouver dans leur colimateur. Pendant les récréations, la quinzaine d' enseignants, se rassemblait au milieu de la cour et bavardait tandis que les autres se faisaient abîmer. Les frères "A", et surtout « gros », avait inventé un jeu très subtil qui consistait à hurler « moulon » chaque fois qu’un enfant tombait à terre. Pour les  non marseillais, un "moulon" est un amas, un tas ou un monticule, etc... Des dizaines de mômes de sa bande (bien sûr les plus grands et les plus forts) plongeaient sur l’infortuné et constituaient un paquet compact jusqu’à ce que plus personne ne puisse tenir sur le sommet de la pyramide ainsi constituée, pendant de longues minutes. Vous imaginez l’état de celui qui se trouvait dessous. Lorsque, affolé de se voir visé par la bande, vous alliez vous plaindre au groupe d'enseignants bavards, vous écopiez immédiatement d’une punition : le fameux piquet. Ainsi vous étiez parfaitement à la disposition de la horde qui pouvait vous asticoter sans courir. Combien de fois ne me suis-je pas retrouvé ainsi puni puis frappé puis re-puni car l’institutrice ne voyait que moi qui tentait de quitter le « piquet » qui m’avait été assigné sans jamais voir ceux qui me tourmentaient. Le pire restait à venir avec la longue récréation entre midi et 14 heures, après le déjeuner. Nous étions tous placés sous la surveillance indolente d’une grand-mère, la dame S. qui ne s'intéressait qu’à son petit-fils présent. Je la revois encore assise sur sa chaise à l'ombre d'un platane au milieu de la cour. Elle passait son temps à tricoter, gardant son petit-fils à côté d'elle (on sait jamais avec ces petits voyoux qui frappent tout le monde). Mais devant aussi peu de surveillance, c’était une véritable curée dans la cour de récré. « gros », « calou » et sa bande s’en donnaient à cœur joie. Oui c’était une bien belle école primaire celle de La Valentine, avec monsieur Carminati à sa tête.

            A une certaine période de l'année scolaire, je n'ai jamais compris comment naissait le mouvement, ni pourquoi il cessait, pendant les récréations tous les enfants de l'école se mettaient à jouer aux billes. Un jeu assez particulier. Au point qu'il n'avait pas cours dans des écoles voisines d'à peine quelques kilomètres de là. Le jeu consistait à s'asseoir par terre, jambe allongée. On posait une bille en verre dans le demi-cercle ainsi formé. Il existait toutes sortes de billes dont les plus belles étaient  appelées "agates" avec différentes couleurs. Plus la bille avait pour son propriétaire de la valeur, plus il augmentait la distance de tir. Le jeu consistait à atteindre cette bille avec des billes en terre de moindre valeur. C'était un spectacle de voir tous ces gamins assis par terre appelant le client à venir tirer sur sa bille dans des intonations proches des marchandes des 4 saisons. Puis de voir d'autres enfants passer de l'un à l'autre choisissant la bille la plus belle en jaugeant la distance exigée par le propriétaire. Après avoir proposé une bille en verre, le propriétaire qui avait la chance de récolter plusieurs billes en terre parce qu'un tireur maladroit avait manqué plusieurs fois sa cible, pouvait à son tour aller tirer d'autres billes. Les meilleurs tireurs récoltaient le plus de billes. Le nec plus ultra était de récupérer une énorme bille en verre que nous appelions "gallo". Dans d'autres régions on l'appelle "calot". La distance imposée était importante et il fallait tirer le gallo non plus avec des billes en terre mais des billes en verre. (pour information il existe 9 tailles différentes de billes en verre). Le propriétaire du gallo autorisait plusieurs tireurs en même temps. Quelque fois cela finissait mal quand la bille était touchée par plusieurs participants.

                Robert A..., vers la fin de cette période, s'amusait à provoquer une forte émulation en jetant des billes en verre tout en hurlant un mot tiré du patois provençal "à la rabaille" qui voulait dire "à la mêlée". Dans la cour d'école tous les enfants se jetaient sur les billes. "Gros" et son frère "riri" recommençaient cette distribution chaque année. Tous les enfants ? Pas tout-à-fait. Les élèves que ces messieurs avaient dans le nez n'étaient pas autorisés à participer à "la rabaille". "riri" se foutait un peu de qui récupérait les billes mais pas "gros" qui se précipitait sur l'infortuné gagnant et reprenait "sa" bille puis recommençait à la lancer. Jusqu'à ce que le jeu lasse les participants qui n'avaient aucune chance d'obtenir une de ces billes. Quand les deux frères n'avaient plus de billes,  la plupart avaient été récupérées par les préférés. Personnellement je n'ai jamais tenté de près ou de loin de participer à ce jeu car ayant la certitude de me ramasser un mauvais coup de M. "gros"

               Ma mémoire fourmille encore d'anecdotes dans nos relations avec le château et ses occupants ou l'école primaire de La Valentine (avenue de la Tirane). Sauf erreur, les horaires de notre école de garçons (dans les années soixante à Marseille pas de mixité) étaient 8h30-11h30 le matin puis 14h-17h l'après-midi. En 1961, pendant plusieurs semaines, presque tous les soirs, Robert A. et ses deux copains (et voisins) les frères VERNE m'attendaient en embuscade sur le chemin du retour. Postés dans un champ à une centaine de mètres de l'entrée du domaine de Vaudran, ils m'obligeaient presque tous les soir à me battre contre l'un des frères VERNE ayant sensiblement mon âge. L'aîné des deux frères  et Robert A. affichaient trois ou quatre ans de plus que moi. Il s'agissait d'individus frustes et violents accusant un retard scolaire de plusieurs années. Ils appartenaient à cette catégorie  d'adolescents qui attendaient  leurs quatorze ans pour quitter l'école et se mettre au travail (dans les années 60 l'obligation scolaire se limitait à quatorze ans. Les seize ans survinrent bien plus tard)

            J'avais la chance d'être plus fort que mon adversaire. Après nous être roulé dans l'herbe plusieurs minutes, immanquablement une voiture survenait sur la route. La petite bande préférait se volatiliser dans la nature pour éviter les ennuis. En 1961 j'avais 10 ans. Ce type de bagarre enfantine ne laissait pas de trace sur moi. Sauf peut-être quelques tâches vertes sur les vêtements provoquées par le frotement sur l'herbe. Mais elle provoquait dans mon esprit une grande fébrilité qui m'habitait jusqu'au château distant de quelques centaines de mètres. Je me souviens en avoir informé mes parents à plusieurs reprises, sans succès. En ce temps-là, qu'un enfant se fasse casser la figure par d'autres élèves n'inquiétait pas les parents outre mesure.

            Je n'étais pas le seul enfant à pâtir de la stupidité insondables des frères VERNE ou de Robert A. Jamais ce dernier ne m'a brutalisé, seulement humilié. La différence de gabari entre nous était très importante à son avantage.J'avais dix ans. Il en avait treize ou quatorze. Nous l'appelions tous "gros" mais ce surnom était usurpé. Il n'était pas gros du tout ; c'était une montagne de muscles, un hyper nerveux qui n'hésitait jamais à se manifester. Il était doué d'une force considérable pour son âge.

             Si je n'ai jamais souffert de sa violence, en revanche il y en avait un dans ma classe qui ne pouvait pas en dire autant. J'ai oublié son prénom. Il se nommait DELEGLISE. Là encore deux frères étaient scolarisés à l'école primaire de La Valentine. Ce dernier était le plus jeune. Son calvaire dura des mois. A l'école, tout se sait. Nous savions tous que Robert A. avait une dent contre lui et le pourchassait partout ou il le rencontrait. Une après midi, vers 14h30. D... rentre en retard en classe. Bouleversé et très énervé, il présente une large marque bleue sous un oeil. Il raconte qu'une fois de plus Robert l'a coincé avant qu'il ne rentre dans la cour de l'école et lui a administré plusieurs coups de poings au visage. Il jure qu'à la sortie il va aller se plaindre auprès de la gendarmerie de La Valentine.  Dans les années 50, le bureau de poste de La Valentine était encore une baraque en pré-fabriqué abritant le cour préparatoire de l'ancienne école primaire avant qu'elle ne s'installe définitivement avenue de la Tirane. Après la construction de la nouvelle école, la classe fut remplacée par une brigade de gendarmerie qui dura quelques années. Nous avions l'habitude d'apercevoir un gendarme de faction à l'entrée de cette brigade.


La vengeance, un plat qui se mange froid :

              Je ne sais pas trop comment s'est terminée cette série d'agressions dont fut victime D.... Durant les grandes vacances de l'été 1962, ma famille eut la bonne idée de m'expédier 2 mois à Nice chez une tante. Notre déménagement était imminent. Mes parents, comme tous les squatters logés dans le château Vaudran, avaient effectué de nombreuses démarches pour tenter d'être relogés dans des logements plus dignes et surtout plus confortables (je rappelle que nous n'avions ni électricité ni eau ni aucune commodité et que le village le plus proche était à trois km d'un chemin difficilement carrossable). La guerre d'algérie faisait rage. Mon père se tenait informé en temps réel grace à l'installation d'un poste à galène fonctionnant sur pile. Le faible signal audio obligeait le port d'écouteurs (on dirait maintenant un casque). un million et demi de "pied-noir" allaient être rapatriés sur la métropole. Plus de quatre cent mille restèrent à Marseille avec le secret espoir de revoir un jour l'Algérie Française.Des centaines de logements neufs, plutôt des cités d'urgence au confort minimaliste, étaient en voie d'achèvement dans les quartiers Nord de la ville. Nous faisions partie des "mal logé" prioritaires. Je savais donc dès le début de l'année 1962 que je vivais ma dernière année à La Valentine et sa sinistre école primaire. Ensuite ?....mystère ! mes parents pouvaient être relogés n'importe où dans Marseille. A cette époque je ne me rendais pas vraiment compte de la structure sociale de Marseille. Dans cette ville où le soleil brille trois cents jours par ans (la plus ensoleillée de France) aujourd'hui encore il n'existe que deux types de logements : les résidences louées ou vendues à des prix largement hors d'atteinte des moyens de mes parents smicards et les HLM où s'entasse toute la misère du monde. Mais il me tardait d'être relogé dans un appartement ou l'électricité et l'eau courante n'étaient pas un vain mot.

            Pour en revenir à Robert A..., en décembre 1961 vers quinze heures, mon père m'avait déposé en scooter à proximité de l'école après une petite visite médicale. Je devais rejoindre ma classe au plus vite. Devant la grille d'entrée de l'école était stationnée une petite voiture dont j'ai oublié la marque et le type. Au moment ou je m'apprétais à franchir le portail, je vis Robert et deux ou trois individus, des habitués de sa bande, fermer rapidement le capot de cette voiture. J'ignorais totalement ce qu'ils avaient bien pu lui faire. J'ignorais même s'ils y avaient fait quelque chose d'ailleurs. Mon après midi à l'école s'est achevée sans incident. Mais c'est le lendemain matin que tout s'accéléra. Une institutrice de l'école des filles (une école qui touchait la nôtre) faisait le tour des classes de l'école de garçons pour y délivrer le message suivant : quelqu'un avait gravement endommagé sa voiture hier. En réaction, si les coupables ne se dénonçaient pas, elle assurait priver de cadeaux de fin d'année toutes les petites filles de sa classe. Une réaction fort injuste pour des enfants qui n'avaient rien fait de mal. Il faut savoir qu'à cette époque, la mairie de Marseille offrait chaque année à Noël à tous les enfants du primaire une poche contenant mandarines, chocolats, nougats et autres sucreries. Pour les plus petits des classes du cours préparatoire et du cours élémentaire, des jouets étaient également offerts.

            Cette enseignante était furieuse. Je ne sais pas ce qu'il m'a pris de lever le doigt. La nouvelle année 1962 allait arriver dans quelques semaines. Je savais que mon séjour dans cette école allait s'achever. Et j'ai balancé Robert A. en racontant ce que j'avais vu la veille. J'avais fait le rapprochement entre la présence de cette bande à proximité de la voiture et les dégradations qu'elle avait subie. Je ne me rendais pas bien compte des risques que je prenais. Le lendemain, A. et sa bande étaient plantés mains derrière le dos face à un mur. Tous pleuraient à chaudes larmes. Mais aucun d'entres eux n'exerça de représailles. Le directeur de l'école de garçons (Carminati) et la propriétaire du véhicule prirent leurs dispositions pour que je ne sois jamais inquiété. Ce fut une façon de me témoigner leur gratitude. Les vacances scolaires de Noël passèrent puis la rentrée et les grandes vacances. Je n'eus plus jamais à me plaindre des agissements de Robert et sa bande. Plus tard, après avoir été relogé dans le 13eme arrondissement, quartier des Olives, il m'arrivait de me rendre à pieds au canal qui longeait le château Vaudran, désormais en ruine. Avec quelques amis nous prenions le bain dans les eaux courantes de ce petit canalet. Il nous arrivait d'y croiser Robert et sa bande, venus faire la même chose que nous. Il n'y eut jamais de confrontation ultérieure. On se contentait de s'ignorer.

     En 1962, la mairie de Marseille avait acquis d'immenses terrains dans les quartiers Nord pour y loger en urgence l'afflux important des pieds-noirs. Devant le danger représenté par l'état alarmant du château Vaudran, nos familles furent relogées dans ces vastes cités-ghettos. Nous étions cinq enfants dans les deux pièces de notre appartement du château. Pour me montrer que le sol se creusait dangereusement, mon père faisait rouler une bille sur les belles tomettes rouges. Elle filait rapidement contre les plinthes. Les quelques familles de squatters avaient tenté de nombreuses demandes de relogement. Il devenait urgent d'évacuer tout le monde.

      Cette année de juillet 1962, j'avais onze ans. Mes parents furent relogés dans la cité HLM des Olives, avenue des Poilus. J'étais à Nice chez une sœur à mon père. Je n'ai découvert mon nouveau quartier qu'un mois plus tard. Les corvées d'eau étaient enfin terminées ; électricité dans toutes les pièces ; chauffage à mazout. De nouvelles corvées nous attendaient pourtant : la bouteille de gaz butane (pour une raison que j'ignore, mon père ne voulut jamais utiliser le gaz de ville pourtant bien plus commode) et surtout les jerricans de mazout de 10 litres chacun pour l'unique chauffage de l'appartement.

      Le confort de notre nouvelle résidence n'a jamais fait oublier "mon" château. Avec quelques camarades nous avions l'habitude de nous y rendre à pied. Il fallait compter environ quatre kilomètres en empruntant la Traverse du Commandeur (les Olives) puis la Route d'Enco de Botte (3 Lucs), la traverse de La Langouste. Nous arrivions dans le vaste domaine de Vaudran-La Salette (on ne sait pas trop ou commence l'un et ou s'arrête l'autre). Nous arrivions au château par le grand bassin qui desservait l'unique point d'eau de l'époque.


Un terrible drame dans le bassin du château Vaudran :

     Ce lieu fut le témoin d'un drame. Cela peut paraître curieux ! pourtant malgré mes trois ans, je n'ai jamais oublié la scène de ce dimanche d'été 1954. Toutes les familles du château se pressaient autour du bassin pour la corvée dominicale d'eau ou de lessive. Le bassin circulaire avait dû servir de réservoir pour le château dans sa jeunesse. Il arrivait parfois qu'il fût plein à ras bord. J'ignore qui manœuvrait les vannes (je ne sais même pas ou elles se trouvaient d'ailleurs) Ce dimanche-là le bassin était plein. Les hommes les plus âgés s'y baignaient parfois. Un garçon de huit ans du nom de Brachet (j'ai oublié son prénom) se penchait au bord du bassin pour capturer des têtards. J'entends encore les femmes lui crier sans cesse de ne pas se pencher. Puis soudain le drame. Vu mon âge, je ne comprenais pas ce qu'il se passait mais ma mémoire a fortement imprimé la scène suivante : ma mère me pris par la main et m'entraina vers le château en courant.

    Mon père était resté sur place avec les autres. Plus tard nous apprîmes que "le petit Brachet" était mort noyé. En chutant dans l'eau il avait remué énormément de vase. Les nageurs qui s'étaient précipités dans l'eau pour le repêcher ne parvenaient pas à le retrouver. Quand le corps fut remonté il était trop tard.

    Ses parents occupaient la petite maison située à l'entrée du château Vaudran à gauche, tout de suite après les deux colonnes qui soutenaient la grille. On appelait cet endroit "la maison du concierge". Par rapprochement la famille Brachet était devenue "la famille du concierge". Ce qu'ils n'étaient probablement pas. Je pense que le drame ne fut pas étranger à leur départ vers l'inconnu. Par la suite nous fumes habitués à voir cette maison fermée à tout jamais. Dans ma petite tête je me disais que nous serions bien mieux dans cette maison qui devait bénéficier de tout le confort moderne.

La destruction du château :

             A partir de 1975, je rendais régulièrement visite à "mon" château pour voir "comment il allait". Cette fois j'était accompagné de mon épouse ; quelquefois par des éléments de ma famille ; puis avec nos enfants. Les propriétés à l'abandon se faisaient déjà rares dans le Marseille des années 70. C'était aussi une occasion de "prendre le bon air" comme on dit à Marseille. Cette fois plus de longs parcours à pied. On venait en voiture jusqu'au "champ" Nous appelions ainsi une grande prairie située à quelques centaines de mètres de l'entrée principale du domaine. Puis nous poursuivions à pied les deux ou trois cents mètres qui nous séparaient du château dont on apercevait déjà les cheminées.

    En 1976, un de ces dimanches, un terrible détail me saisit à la gorge : en garant notre voiture dans le "champ" je ne me rendis pas compte tout de suite que quelque chose avait changé ! Quand nous prîmes le dernier chemin d'accès légèrement montant, je ne vis pas "mon" château. Je me revois encore partant en courant vers lui. Il avait disparu ! A sa place une large fissure dans la petite colline contre laquelle il était appuyé. Le château Vaudran n'était plus. Mon épouse tentât de me consoler comme elle pouvait. Je n'ai jamais oublié ce jour. Pourtant je savais qu'il viendrait. L'édifice faisait l'objet d'un arrêté municipal de péril. Un accident était possible à tout moment.

    Par la suite nous continuions à nous rendre de temps en temps dans le domaine de Vaudran. Jusqu'à ce que d'importants travaux de terrassements marquent définitivement la fin de la récréation.

     Mais je n'en avais pas terminé avec les châteaux : Puisque le mien n'était plus là nous prîmes l'habitude de nous rendre dans la grande et belle propriété du château de la Buzine, ancienne acquisition de Marcel-Pagnol. Là encore, des travaux marquèrent de nouveau la fin de la récréation par l'implantation de dizaines de villas.










arrivée au château une aile du château Vaudran Entrée principale Derrière le château
Fig01 : Chemin principal d'arrivée Fig02 : Autre vue du chemin d'arrivée au château Fig03 : Profil de l'entrée principale du château Fig04 : Derrière le château
portail d'entrée autre vue autre profil du château les amandiers
Fig05 : Entrée du domaine de Vaudran Fig06 : autre vue du château Fig07 : Autre profil d'entrée Fig08 : les célèbres amandiers du château Vaudran
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